Cercle Celtique de Nouméa

L’Ange du bagne

En 2000, le Cercle Généalogique de Nouvelle-Calédonie (CGNC) publiait, dans le n° 48 de son bulletin de liaison trimestriel, une chronique intitulée « L’Ange du bagne », d’après une étude qui lui avait été confiée.

Madame Armelle Malaval-Quinquis, sa présidente-fondatrice, nous a gentiment donné l'autorisation de reproduire cet article.

Interpellés par cette histoire romanesque ayant pour point de départ la région de Nantes, nous demandons à madame Quinquis si, en 20 ans, des éléments nouveaux avaient été trouvés.

Elle nous indique alors, que le principal protagoniste était maintenant identifié sous le nom d’Alfred Jean Louis Théodore Page et qu’il était possible de consulter son dossier individuel de bagne aux ANOM.

L’auteur de cette histoire a, lui aussi, été identifié. Il s’agit de Jean-Baptiste Delfaut.

On retrouve, en effet, ce texte dans plusieurs versions des mémoires du bagnard, écrivain et poète, sous le titre « La vie d’un parricide ».

Ecrite sûrement aux alentours des années 1895-96, un résumé de cette histoire a été inséré par le journaliste-romancier Jean Carol, en 1902, dans le quotidien « Le Temps » au sein du dernier volet d’une série intitulée « Mémoires d’un forçat ».

...40 ans plus tôt...

Sans le savoir, ce même quotidien parisien avait reporté le point de départ de l’évènement, quelques 40 ans auparavant, celui-ci ayant déjà fait l’objet de plusieurs articles dans la presse régionale de l’époque.

L’histoire commence donc un soir du mois d’août 1861, au milieu de la forêt de Châteaubriant, en Loire-Atlantique, où une famille Lepage aurait été victime d’une mystérieuse tentative d’homicide.

Trois mois plus tard, la justice tient son coupable en la personne d’Alfred Jean Louis Théodore Page, fils aîné de la victime, celui-là même qui s’était « précipité en bas de la voiture pour se diriger du côté où l’assassin avait dû s’enfuir« .

Le procès se déroule à la Cour d’assises de Nantes en décembre de la même année.

L’Union bretonne rapporte celui-ci de manière relativement détaillée.

Au terme d’un procès qui aura duré trois jours, et malgré la plaidoirie de l’avocat de la défense, un certain M° Waldeck-Rousseau, Alfred Page sera condamné aux travaux forcés à perpétuité.  

Ancien palais de justice de Nantes
Alfred Page en Nouvelle-Calédonie

Alfred Page arrive le 5 février 1862 au bagne de Toulon. Puis, le 14 décembre 1867, il embarque sur la frégate « La Néréïde » à destination de la Nouvelle-Calédonie, où il débarque le 5 mai 1868.

On ne connait quasiment rien de la vie d’Alfred Page sur le territoire.

En 1872, en raison « d’une conduite exemplaire, d’une assiduité au travail doublé d’un sincère repentir« , selon les termes de différents courriers administratifs trouvés dans le dossier ANOM, sa peine de travaux forcés à perpétuité sera commuée en 20 ans de travaux forcés auxquels s’ajouteront plusieurs remises de peine (5 ans en trois fois).

L’année 1887 voit sa libération effective.

D’après les écrits de Delfaut, Alfred Page aurait alors continué à vivoter à Méaré, dans la région de La Foa, sur la concession d’un certain Sébastien Millet

L'ancienne caférie de Méaré
Affaire Page De la Furtière, le retour
Le Tanaïs à Sydney

A partir de 1894, Alfred Page entame une procédure de recours en grâce pour obtenir une remise d’obligation de résidence.

Il l’obtient en 1896, néanmoins assortie d’une liste de plusieurs villes et départements de France dans lesquels il lui est interdit de se rendre.

Il retourne en France en mai 1898 et débarque à Marseille via Sydney, vraisemblablement du navire « Tanaïs »…

Soudain, le 19 août 1898, un article du « Petit Parisien » écrit par « un correspondant particulier à Nantes est publié, ayant pour titre « Une nouvelle erreur judiciaire ». Il est suivi le 21 août, d’un deuxième article intitulé « Un ancien forçat millionnaire ».

Alfred Page serait rentré en France pour demander sa réhabilitation judiciaire et surtout pour faire valoir ses droits sur un ancien héritage d’un lointain parent dont il aurait été spolié du fait de sa condamnation. La presse régionale s’étonne et commence à investiguer. Une deuxième affaire « Page de la Furetière » commence…ou pas…

Quelques étapes de la vie d'Alfred Page

27 novembre 1837 : mariage à Nantes de Jean Page avec Sophie Marie Louise Poulain Furtière.

Lui est dit receveur de l’enregistrement et des domaines, domicilié à La Réole (33), fils majeure d’Antoine Page, propriétaire à Ancenis. Elle est dite fille mineure de Louis Céleste Poulain Furtière, propriétaire, domicilié à Olivet (Loiret) et de Sophie Désirée Roy, son épouse, domiciliée rue Racine, Nantes 5ème canton. Un certain Théodore Page, 39 ans, vérificateur des poids et mesures, domicilié à Ancenis et frère de l’époux, figure comme témoin au mariage.

15 décembre 1842 : naissance d’Alfred Jean Louis Théodore Page à Nantes 3ème canton, 44.
Le père Jean est dit contrôleur du timbre, 37 ans, demeurant quai de Penthièvre, 3ème canton  et la mère Sophie Marie Louise Poulain Furtière est agée de 20 ans.

16 décembre 1861 : condamnation d’Alfred Page aux travaux forcés à perpétuité à la suite d’une tentative d’assassinat sur sa mère dans la nuit du 14 août 1861 dans la forêt de Chateaubriant.

05 février 1862 : arrivée d’Alfred Page au bagne de Toulon.

02 décembre 1866 : décès de Jean Page, son père, sur la commune de Doulon, canton de Carquefou, arrondissement de Nantes, dit domicilié aux Ragotières (quartier).

05 mai 1868 : arrivée d’Alfred Page au bagne de Nouvelle-Calédonie.

Le 19 mai 1868 : pétition de la veuve Page tendant à obtenir le retour en France de son fils transporté en Nouvelle-Calédonie pour cause d’aliénation mentale de son fils.

23 octobre 1868 :  courrier du gouverneur Guillain au ministre des colonies qui joint un certificat du médecin de 2ème classe Delacour chargé du service de santé du pénitentier-dépôt attestant qu’Alfred Page est atteint d’une aliénation mentale appelée « mélancolie ».

07 octobre 1869 : Pétition adressée au ministre des colonies signée Vve Page née de la Furtière, qui réside 77 rue des Saints Pères, Paris.

17 décembre 1872 : la peine de travaux forcés à perpétuité d’Alfred Page est commuée en 20 ans de travaux forcés auxquels s’ajoutent 5 ans de remises de peine.

17 septembre 1887 : libération effective d’Alfred Page.

30 août 1891 : décès à Paris de Sophie Marie Louise Poulain Furtière, rentière née à Saint Etienne de Montluc, dans son domicile, 31 rue de la Butte-aux-Cailles.

13 février 1894 : rejet d’un recours en grâce concernant une remise d’obligation de résidence pour Alfred Page.

21 août 1896 : après obtention de la remise de l’obligation de la résidence aux colonies, Alfred Page reçoit notification d’une liste de lieux où il lui est interdit de paraître en cas de retour en France (dont départements de Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Seine et Seine-et-Oise).

Mai 1898 : retour d’Alfred Page en France.

19 mai 1907 : décès d’Alfred Page dans son domicile, 79 rue Bobillot, Paris 13.

Paris 13ème - Quartier de la Butte-aux-Cailles au niveau de la rue Bobillot à la fin du XIXème siècle