Le samedi 12 mars 1881, une goëlette à voiles battant pavillon libérien entre dans la rade de Nouméa avec, à son bord, près de deux cent cinquante passagers, dans un état d’anémie avancé. En panne de machine, l’embarcation venait de louvoyer à la voile à travers les récifs depuis les côtes de Nouvelle-Irlande.
Cet épisode n’est qu’une des nombreuses péripéties d’une affaire rocambolesque qui a défrayé la chronique entre les années 1879 et 1884. Elle a eu pour point de départ l’imagination débordante d’un aristocrate breton entreprenant, idéaliste et un brin mégalomane.
Charles Bonaventure Marie du Breil de Rays, natif de Lorient et issu d’une vieille famille de la noblesse bretonne, est le dernier héritier du château de Quimerc’h en Bannalec, dans le Finistère.
Aventurier ayant voyagé en Amérique, au Sénégal et en Indochine dans ses jeunes années, c’est sous le titre de marquis de Rays qu’il devient l’instigateur d’une tentative malheureuse de colonie « libre et catholique » en Océanie au moment où la jeune IIIème République commence à s’affirmer en France…
L’Australie lui ayant été refusé par les autorités anglaises, c’est sur la Nouvelle-Irlande (actuellement province au nord-est de la Papouasie Nouvelle-Guinée) qu’il jettera son dévolu. Il n’y mettra cependant jamais les pieds…
L’India, le navire parvenu jusqu’à Nouméa, était le 3ème bateau de l’expédition. Plusieurs passagers étaient morts pendant la traversée avant d’atteindre les côtes calédoniennes. Les survivants étaient dans un tel état de délabrement à l’arrivée, qu’alertée par les journaux de l’époque, et notamment le « Néo-Calédonien », la population se mobilisa et organisa des collectes pour leur venir en aide comme en témoigne l’article de l’époque ci-dessous.
Toujours d’après la presse locale de l’époque, les passagers étaient d’origine européenne, dont la grande majorité des cultivateurs de nationalité italienne, originaires de la région de Venise. Parmi eux figuraient des femmes et surtout 85 enfants.
Fuyant la pauvreté, ceux-ci avaient été attirés par les promesses alléchantes dispensées par la campagne publicitaire tapageuse du Marquis.
Mais la déception à l’arrivée en Nouvelle-Irlande (alors rebaptisée Nouvelle-France) avait été si grande qu’ils ne voulurent pas recommencer l’expérience d’un débarquement en terre inconnue.
Ils refusèrent donc de débarquer à Nouméa, alors colonie pénale, fixés vers un seul et même but : l’Australie.
L’India ayant été jugé incapable de naviguer en l’état, fut vendu aux enchères. L’argent de la vente permis l’affrètement d’un navire australien le James-Paterson, avec lequel la majorité des émigrants purent rejoindre Sydney.
Une quinzaine d’entre eux demeureront pourtant en Nouvelle-Calédonie.
Un long article de Jean Guillou paru dans le bulletin n° 42 de la SEH-NC mentionne que parmi eux, figurait une certaine Catarina Térésa Maffoni qui épousa le 20 octobre 1888 Noël Cacot, fonctionnaire des travaux publics, dont elle eut trois fils et une fille. Celle-ci prénommée Suzanne épousa le colonel Brown, un aviateur australien qui prépara la venue de Victor Roffey sur le territoire. Les Brown se retirèrent en Australie, où après le décès du colonel Brown, elle continua à vivre à Sydney jusqu’à son décès en 1979. Ses frères étaient décédés bien avant elle.
Le 3 juillet 1886, une autre demoiselle Maffoni, Tranquilla Catterina avait épousé à Nouméa, Joseph Eugène Vincent, un huissier natif de Brest. Toujours d’après jean Guillou, elle tint un hôtel et un commerce à Boulouparis pendant de longues années. Elle a eu deux enfants, Emile et Béatrice, l’une des filles d’Emile étant devenue madame Edouard Ventrillon père.
Enfin, et d’après un article de l’Australasian Melbourne daté du 15 juin 1929, un certain Lieutard, pharmacien lorrain, et un marquis de Piperey, partis pour Port-Breton avec le Chandernagor, premier bateau de l’expédition, seraient tous deux décédés en Nouvelle-Calédonie, le second ne s’étant jamais remis de la malaria contracté pendant son séjour à Port-Breton.
Les colons italiens embarqués sur le James-Paterson furent secourus par le gouvernement australien à leur arrivée en Australie. Ils ne parlaient pas anglais, mais quasiment tous étaient agriculteurs. Le gouvernement, à la recherche d’immigrants capables de mettre en valeur les terres vierges australiennes, leur délivra des concessions de terrains. Ainsi, ils fondèrent un hameau sous forme de communauté agricole. Celle-ci fut d’abord baptisée Cella-Venezia puis New Italy et était située au nord de Sydney, à l’embouchure de la rivière Richmond.
Vivant au départ de l’exploitation de la forêt, ils réussirent peu à peu à implanter des cultures et prospérèrent ainsi jusqu’à la fin des années 30. Aujourd’hui, ce village a complètement disparu et les descendants se sont dispersés plus au nord vers la région de Lismore.
Un monument au bord de la « Pacific Highway » a d’abord été implanté pour commémorer le souvenir des pionniers.
Puis, ces dernières années, un petit musée (New Italy Museum) a vu le jour entre Byron Bay et Grafton, dédié à l’héritage spirituel laissé par toutes ces familles émigrantes rescapées des expéditions du Marquis de Rays.
Le musée virtuel, sur son site internet, présente aussi plusieurs histoires racontées par leurs descendants, dont Anthony Robertson, issu de deux familles différentes ayant voyagé sur l’India et à qui l’histoire de sa famille a inspiré une sympathique chanson.